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Initiez-vous à l’Histoire de l’Art ! 🎨

Poursuivons notre belle promenade artistique avec le rendez-vous hebdomadaire de Thomas, professeur à l’atelier d’arts plastiques et conférencier. 

Nicolas de Staël (1913-1955) : (prononcer « Stal ») est issu d’une famille noble d’émigrés russes, son père dirigeait la forteresse de St Petersbourg où Bakounine a été enfermé. C’est un jeune homme passionné, qui croit dans son talent et vit la dure vie de la bohème parisienne. La guerre est une période dramatique, sa première femme meurt, en partie à cause de la misère. Il sera enfin reconnu après guerre et deviendra célèbre grâce au marché américain. De Staël était un peintre abstrait radical, porté par ce mouvement moderniste dominant. Il est venu à la figuration ensuite dans les années 50 (paysages, natures mortes et même des nus), ce qui lui valu d’être traité de traître par ses confrères abstraits. Mais l’art et au delà de l’idéologie et des écoles, sa source jaillit librement…
 

🖼 Verre et pinceau, (1954)

 
Il est donc passé, à l’inverse de Mondrian et de beaucoup, de l’abstraction à la figuration. Comme le Mondrian que nous avons montré, il restera sur la crête magique entre les deux, la forme pure et l’image. Les formes expriment leur présence tonale, vibratoire, dans cette petite nature morte. Une tache blanche, un verre, une tache terre de sienne, un petit objet indéterminé, un trait plus clair, un pinceau… Une infime réserve blanche sépare le plan de la table du fond. Tout est frontal, plat, c’est notre œil et notre cerveau qui restituent le volume, la présence des choses.. La nature morte a toujours été un laboratoire minimal pour les peintres. Cette petite toile est une leçon de ténèbre, un exercice minimal de simplification. Très classiquement, Nicolas de Staël poursuit par son style la magie optique de Chardin, l’éveil simple du Zen chinois, l’éclat spirituel de Matisse..
 

🖼 Paysage du bord de mer, (1954)

 
Dans les années 50, sa technique a changé. Il a percé avec une technique matiériste, en grosses épaisseurs étalées à la spatule. Maintenant il peint en couches fluides étalées avec un chiffon doux ou une poupée de gaze. Il ne s’acharne plus sur ses œuvres mais travaille avec spontanéité, très rapidement. Son galeriste new-yorkais lui reproche même de trop produire, ce qui est mauvais pour le marché ! Ces trois peintures datent de cette dernière période, un an avant son décès. Ce paysage est d’un grand équilibre, presque classique. Deux gris froids, un ocre chaud, trois zones de blanc. Le bord blanc en bas comme une brume ou du sable brillant borde la plage fuyante. L’épaisseur de mer blanche forme un ressac, le relief de la trace dessine les vagues…le gris de la mer est profond sous le blanc et le gris léger du ciel immense. Le tout est noyé dans la brume. Subtilité extraordinaire, magie de l’instant saisi. L’artiste avait peur que ses marines ne soient parfaitement visibles que dans la lumière du midi et pas sous les lampes des galeries parisiennes. Combien de peintres se posent ce genre de question ?
 

🖼 La Route, (1954)

 
Il y a un récit qui accompagne ce tableau : Nicolas de Staël raconte qu’il rentrait chez lui, dans le Lubéron, après une nuit passée avec un ami amateur de jeu d’échec et de bon whisky. Soudain, saisi par cette vision de la route à l’aube, il gare sa camionnette, son « tube » Citroën et fait un croquis, qui donnera ce tableau. Cette anecdote montre la signification du mot pittoresque, « qui peut être peint », mot qui date de l’invention du paysage comme genre, au XVIIème siècle. Ce pictural là est magistral : quelques formes puissantes brossent les arbres noirs, la route, la lumière blafarde (notez le rose léger des champs). On remarque que le spectateur se trouve au centre de la route, la voiture est en marche. L’artiste reprend ici une question déjà posée par Turner et Monet : comment rendre par une peinture fixe le mouvement moderne de la vitesse ? Vitesse immobile, instant suspendu : nous n’atteindrons jamais le bosquet d’arbres…
 
🔍 Le 16 mars 1955, il se suicide en se jetant du haut de son atelier d’Antibes. Il a 41 ans. Comme toujours, on a cherché à comprendre la cause de l’acte. Désespoir sentimental ? Il venait de quitter femme et enfant pour une liaison passionnée…Crise d’identité due au succès ? Madame Braque, grande amie, lui avait dit : « Vous avez survécu à la misère, Nicolas, saurez-vous survivre au succès? »… Ou échec plus profond, à la racine même de l’acte de peindre et de l’idéal d’absolu que cela implique… »le mur qui sépare ce qu’on veut faire et ce qu’on arrive à faire » écrivait Van Gogh. Nicolas de Staël, le dernier peintre maudit, dernier peintre moderne…dernier peintre classique ? Dans sa dernière lettre, pas d’état d’âme, il charge un ami de payer un menuisier qui lui a fourni des chaises, ce qui me fait penser aux derniers mots de Socrate ayant bu la ciguë, rembourser une dette pour un coq.