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Initiez-vous Ă  l’Histoire de l’Art ! 🎨

Le rendez-vous hebdomadaire de Thomas, professeur Ă  l’atelier d’arts plastiques et confĂ©rencier. 

« Aujourd’hui, un artiste cher Ă  mon esprit, le Grand Magritte ! Pour compenser l’annulation de la confĂ©rence… »

 
🔍 RenĂ© Magritte (1898-1967) : Peintre belge, nĂ© Ă  Lessines, mort Ă  Bruxelles. D’origine pauvre, il a Ă©tĂ© marquĂ© par le suicide de sa mère, l’occupation prussienne et a dĂ©butĂ© comme peintre d’affiches. Il a Ă©pousĂ© la fille d’un boucher de Charleroi, n’a pas eu d’enfant, n’a (pratiquement) jamais voyagĂ©. Il a Ă©tĂ© liĂ© puis a rompu avec le SurrĂ©alisme. Tout est dit…ou presque. Il a menĂ© une vie d’une simplicitĂ© petit-bourgeois parfaite, portant melon, promenant son chien, peignant dans son salon bien rangĂ©. Ou plutĂ´t il a feint de vivre comme cela. Magritte est un sceptique-nĂ©, il ne croit pas dans les valeurs sociales, ni dans les idĂ©es, ni dans la rĂ©alitĂ© en gĂ©nĂ©ral…Magritte feint d’ĂŞtre Magritte et tout est illusion.
 

🖼 La durée poignardée, (1939)

 
Ses professeurs Ă  l’AcadĂ©mie lui disaient de peindre avec ses tripes. Absolument pas ! La peinture doit ĂŞtre lisse et froide, impersonnelle. Les images de Magritte sont soignĂ©es et neutres comme des illustrations de manuels scolaires. Le cadre est impeccablement figurĂ© : un coin de salon, une cheminĂ©e, le parquet, l’horloge. Mais une locomotive traverse la cheminĂ©e. Deux rĂ©alitĂ©s contradictoires coexistent !…absurde…
Le tableau devient un moyen pour dĂ©truire nos habitudes de vision. L’expĂ©rience de l’impossible libère l’esprit de ses chaĂ®nes apprises…et provoque le dĂ©clic de l’Ă©veil Ă  une autre dimension, magique…
 

đź–Ľ Le Jockey perdu, (1948)

 
Ce petit jockey galopant droit devant lui rĂ©apparaĂ®t de loin en loin dans toute l’œuvre, comme un leitmotiv discret. J’y vois une sorte de symbole, celui d’une course obstinĂ©e et inutile. Il traverse tantĂ´t une scène de théâtre, une forĂŞt de quilles gĂ©antes et ici une plaine enneigĂ©e. Ces arbres Ă©tranges sont en mĂŞme temps des feuilles, leurs branches des nervures : la partie devient le tout, la feuille, l’arbre. L’art de Magritte est plein de jeux de glissements, d’analogies, d’inversions….C’est un jeu combinatoire : on retrouve toujours les mĂŞmes Ă©lĂ©ments, rideau rouge, grelots, chapeau melon, pomme, quilles, etc…Le dĂ©cor immaculĂ© ne correspond pas au cavalier, qui semble ĂŞtre un jouet. Le petit Jockey a perdu son chemin et il galope sans fin.. On pourrait dire qu’il ne sait pas que sa course est perdue d’avance. Dans cet univers, l’impossibilitĂ© prĂ©cède tout…
 

🖼 La traversée difficile, (1963)

 
Ces images Ă©tranges sont parfois d’une ambiguĂŻtĂ© discrète, parfois violentes comme ici. L’homme dont la tĂŞte est un globe oculaire est effrayant. Comme pour le feuille-arbre, c’est un jeu mĂ©taphorique : la fonction (le regard) a remplacĂ© son support (la tĂŞte). La scène est dramatique mais semble vidĂ©e de sens. Tout est glacial : les vagues grises, le ciel mĂ©tallique, le parapet, la quille gĂ©ante blanche, le costume. Tout est parfaitement banal, rendu avec une grande prĂ©cision. Observer du quai un navire qui fait naufrage est une image littĂ©raire classique de la contemplation, la « delectatio », on la trouve chez Pline. Mais la monstruositĂ© presque comique du personnage subvertie toute logique. Les rĂ©fĂ©rences Ă  la littĂ©rature, Ă  la philosophie, Ă  la peinture classique sont frĂ©quentes chez Magritte. C’est un art qui rĂ©flĂ©chit sur l’art…Les titres qui ne « collent » jamais Ă  l’image vont dans ce sens, ils sont souvent trouvĂ©s par ses amis poètes.
 

đź–Ľ Les mĂ©moires d’un saint, (1939)

 
La rĂ©alitĂ© est une scène de théâtre et derrière le rideau de l’illusion… d’autres illusions. Le rideau n’est pas plus vrai que le ciel en trompe-l’œil qui est son envers.
C’est pourquoi ces Ă©lĂ©ments qui se rĂ©pètent sont Ă©quivalents, ils n’ont pas grande importance en eux-mĂŞmes. De plus, tout est peint avec la mĂŞme application neutre. Ils sont lĂ  pour nous montrer la tromperie de l’esprit qui produit le mensonge comme l’air que l’on respire. En sortir est le but de l’art de Magritte qui est bien, au fond, une histoire de « vĂ©rité ». Pas comme idĂ©e, mais comme expĂ©rience esthĂ©tique, sinon Ă  quoi bon la peinture ? Elle seule le peut. Si tout est illusion, la conscience ne dĂ©pend pas de son contenu, mais de l’Ă©veil Ă  cette vĂ©ritĂ©. Ce serait le secret…
 
🔍 AndrĂ© Breton voyait en lui un SurrĂ©aliste : le peintre des merveilles de l’inconscient, de la libre association des images et des mots. Magritte a tout de suite vu dans ce mouvement la volontĂ© de reconstruire un arrière-monde romantique, simplement dĂ©placĂ© dans le domaine freudien….Un contenu sentimental, une valeur, un idĂ©al…Quelle bĂŞtise ! Il Ă©crit Ă  Breton en rompant avec lui : « MĂŞme si l’inconscient existait, ça ne serait pas le problème ! ».
Magritte est un peu notre Ulysse dans l’odyssĂ©e des avant-gardes du XXe siècle. Il dĂ©joue par ses mille ruses (Ulysse en grec signifie « rusé ») les magiciennes et les monstres des idĂ©ologies des « ismes » : Futurisme, SurrĂ©alisme, etc…Pour son voyage de noce au dĂ©but des annĂ©es 30, il emmena Georgette Ă  Venise. Il dit au retour « Aucun intĂ©rĂŞt, inutile d’y aller : c’est comme sur les cartes postales, mais en moins bien ! » Humour belge…dĂ©vastateur !